3e partie :
 les notions de développement durable et de RSE commencent à influencer sérieusement les collectivités et les entreprises conventionnelles. Il est temps maintenant de s’interroger sur le secteur bio : ses valeurs sont-elles compatibles avec ces notions ? Est-il en avance ou en retard ? Et sur quels sujets ? Voici les réponses pour tendre vers l’entreprise responsable du XXI° siècle.

Article mis à jour le 14 janvier 2018

 – EN ROUTE VERS LE BIO SOCIÉTAL :

Lire ou relire la deuxième partie : la RSE

● L’économie, le sociétal et l’environnement, dans l’ADN de la bio depuis toujours : si celle-ci est surtout perçue aujourd’hui comme liée à la promotion d’une agriculture plus saine et à la protection de la santé et de l’environnement, ses ambitions étaient encore plus étendues et visionnaires dès le début de son histoire.

Née dans les années 1920 en Europe de plusieurs pères fondateurs (1) l’agriculture biologique s’insérait dans un combat social global déjà vieux d’un siècle pour une distribution éthique des biens de consommation et des conditions de travail moins rudes, le tout influencé par une vision sauvage de la nature issue notamment du romantisme allemand du XIX° siècle. Ces facteurs croisés d’influence étaient nés à l’époque pour contrer les effets collatéraux désastreux de l’industrialisation à pas forcée des sociétés occidentales à l’œuvre depuis le milieu du XVIII° siècle (lire ou relire L’assommoir de Zola). L’agriculture biologique, restée fidèle à une approche militante et sociale, apporte quand à elle comme élément novateur l’environnement et la santé du consommateur dans sa lutte, encadrés par des réflexions sociales originales.

Un de ses fondateurs, Rudolf Steiner, était un philosophe, occultiste et penseur social autrichien atypique. Son œuvre majeure, l’Anthroposophie, est une pensée holistique originale qui, bien avant l’heure accorde une grande importance à une nature perçue comme complexe, vivante et sensible, en militant pour une économie sociale qui lie intimement vie économique, vie du droit et vie spirituelle (vue ici dans un sens laïque qui comprend le climat social de l’entreprise et la façon dont elle gère en interne le pouvoir).

Cette articulation visionnaire entre économie, vie sociale et rôle vital de l’environnement, longuement réfléchie et développée dans plusieurs livres et cycles de conférences, ressemble étonnamment aux 3 piliers du développement durable.

C’est dans ce contexte nourricier fécond que naquit durant les années 1920 l’agriculture biodynamique. À contrario d’une agriculture industrielle en plein envol et uniquement soucieuse de rentabilité économique, l’agriculture biodynamique considère la ferme comme un organisme vivant complexe indissociable de son environnement : il ne s’agit pas seulement de produire des denrées comestibles de qualité, mais aussi d’assumer la responsabilité de préserver l’environnement large de la ferme (haies, bocages, flore, faune sauvage), en prenant aussi en charge les modalités économiques comme la distribution des denrées produites. C’est ainsi que dès 1927, en Allemagne, se créée une coopérative économique agricole de transformation dans le but de promouvoir et vendre les produits biodynamiques. En 1930 près de 1 000 fermes écoulent leur production, soutenue, déjà, par une marque (Demeter), et un cahier des charges, bien avant l’avènement du label AB en 1985 !

Les autres pères fondateurs du bio (1) sont quand à eux aussi lucides sur les dégâts écologiques et sociaux provoqués à long terme de l’agriculture chimique. Chacun développera, à sa manière, une vision plus équilibrée de l’agriculture et de sa finalité ultime : alimenter sainement l’homme. Citons l’Anglais Albert Howard (1873-1947). Cet agronome et botaniste militant pour une solidarité sociale avec les travailleurs de la terre, insista particulièrement sur le danger que courait la santé humaine en confiant l’agriculture nourricière aux seuls intérêts financiers des entreprises, beaucoup plus soucieuses de rentabilité économique que du maintien de la qualité des récoltes ou des élevages. Inutile de préciser que la Politique Agricole Commune (PAC) telle qu’elle est pratiquée en Europe en ce début de XXI° siècle ignore toujours ces avertissements…

Les décennies 1950 et 1960 voient surtout le développement structurel de la bio sur fond de dénonciation de l’agriculture intensive qui s’implante alors massivement. Agriculteurs et consommateurs font alors, de manière innovante front commun avec, notamment, le premier congrès de l’ANDSAC (Association nationale pour la défense de la santé du consommateur) tenu en 1964, très inquiet de savoir ce que l’on mange et comment l’aliment est cultivé ou préparé, inventant avec près de trente ans d’avance le concept moderne de traçabilité.

La critique sociale pure et dure commence cependant à prendre une voie différente avec l’ouverture en 1969, aux Pays-Bas et en Angleterre, des premiers magasins de commerce équitable, le bio se concentrant quant à lui majoritairement sur l’aspect environnemental, avec, comme point d’orgue la création du label AB d’agriculture biologique en 1985. L’engagement direct de l’alterconsommateur resta cependant vivace jusque dans les années 1980, stimulé par les mouvements « écolo » et « new age » des décennies 1970 et 1980 : beaucoup d’associations engagées montent à cette époque un peu partout en France des magasins bio collaboratifs indépendants ou l‘adhérent consom’acteur bénéficie d’avantages substantiels en échange de sa participation active à la vie de la coopérative.

De nos jours les magasins coopératifs nouvelle génération comme la Louve à Paris, reprennent le flambeau… Du côté des enseignes spécialisées Biocoop, seul grand réseau français à structure coopérative multi-professionnelle du paysage français, est né à la fin des années 70 de l’engagement innovant de consommateurs et de producteurs réunis en coopératives de consommateurs. Cependant sa structure coopérative, bien que vivace et influente reste classique dans le sens ou le consom’acteur « lambda » ne participe plus directement à la vie du magasin, comme à ses débuts.

● Biosociétal, retour aux sources et nouvelle ère : où en est-on aujourd’hui ? Après des années 1990 et 2000 consacrées principalement à faire face à l’arrivée imprévue de nouveaux consommateurs attirés par le bio, en réaction aux peurs alimentaires provoquées par la crise historique de la vache folle, le secteur bio renoue avec ses racines sociétales : en témoignent le nombre croissant de colloques ou articles sur le sujet et l’intérêt actuel pour de nouveaux concepts typiquement RSE tel que par exemple celui de « l’entreprise libérée » (Les salariés sont encouragés à prendre des initiatives).

Voici maintenant une série de remarques et constats qui montre les atouts et points d’amélioration du bio pour rentrer définitivement dans l’ère du bio sociétal :

Des années d’avance sur la création de produits bons pour l’homme et bons pour la planète : la mise au point et la distribution d’écoproduits et écoservices est considérée habituellement par les entreprises conventionnelles comme l’aboutissement d’une démarche RSE de longue haleine alors que le secteur bio porta directement ses efforts sur cette évidence : la mission fondamentale d’une entreprise est d’abord de fournir des produits sains…

> Des penseurs holistiques « bio » d’envergure inititieurs de nouveaux paradigmes : les penseurs de la première heure ont fait place à une nouvelle génération critique de qualité : citons l’agriculteur écrivain Pierre Rabhi, auteur de la « Vers la sobriété heureuse », ou encore, dans un autre registre, le livre américain Conscious Capitalism, (capitalisme conscient), co-écrit par John Mackey le PDG de Whole Foods Market, le plus grand épicier bio spécialisé de la planète (avant d’être racheté par Amazon en mi-2017). Une de ses convictions est de placer la responsabilité sociétale au coeur de l’entreprise et de chaque collaborateur, supprimant ainsi la nécessité de créer un service RSE dédié.

> Des avancées pionnières en économie durable avec le commerce équitable, et le commerce équitable Nord-Nord, mais une faible réactivité sur les nouveaux modèles économiques durables (économie collaborative, louer, vente de produits occasions), certains comportements de fond (gaspillage alimentaire), ou encore l’éco-conception (dont les packaging cf Biolineaires 65 p19), et les nouvelles tendances industrielles durables comme l’écologie circulaire.

> L’agriculture bio est très bénéfique pour le climat mais… La Conférence de Paris de fin 2015 sur le climat (COP21), à démontrée le rôle majeur que l’agriculture bio peut jouer contre le déréglement climatique… à condition d’augmenter en magasin la proportion de produits bio ET locaux afin d’éviter les pollutions dues aux transports lointains, et de supprimer par la même occasion l’excès d’emballages. En savoir plus sur la diffusion de produits locaux, plus complexe qu’il n’y parait.

> Des méthodologies RSE adaptées au bio encore peu connues mais en progression : le label bio officiel UE intègre pour l’instant bien peu les nombreux critères de la certification RSE (conditions de travail, gouvernance, etc.), même avec sa voyelle mouture validée fin 2017. Des labels alternatifs comme Biocohérence Biopartenaires ou Nature & Progrès vont bien plus loin dans la démarche mais restent encore assez confidentiels.

Ces faiblesses et l’air du temps motivent de plus en plus les grandes enseignes et les marques bio à se doter d’un directeur RSE pour une démarche globale (Biocoop, Ekibio, Lea Nature, etc.). La démarche Bioentreprisedurable® du Synabio, lancée en 2009, veut aller plus loin en permettant aux entreprises de l’aval du secteur biologique, constituées en majorité de TPE et de PME de découvrir, formaliser et déployer une stratégie RSE adaptée au secteur. Si cette initiative calquée sur la norme ISO 26000 trace la voie et ne peut être que saluée, 20 adhérents transformateurs bio seulement ont été évalués en fin 2017; dont l’enseigne La Vie Claire qui marque l’entrée des distributeurs dans la démarche.

Signalons, pour les distributeurs, que cette certification ne signifie pas que chaque magasin adhère à ces exigences. Le magasin Harmonie Nature à Lille est le 1er magasin Bio indépendant engagé dans une démarche officielle RSE auditionnée par Ecocert environnement.

Enfin, une concurrence accrue entre enseignes contraint de plus en plus celles-ci à accroitre leur exigence de référencement de produits bio pour mieux se distinguer. Les marques qui ont pris la peine d’avoir une démarche RSE si possible certifiée auront un atout supplémentaire dans leur manche.

Cette démarche gagnerait à être mieux connue dans le secteur, beaucoup d’entreprises bio faisant de la RSE sans le savoir.

Version enrichie d’un article paru initialement dans le revue professionnelle Biolinéaires n°65 Mai-juin 2016

Fin de la 3e partie d’introduction : relire la 1ère partie : le développement durable

Prochainement : l’entreprise libérée est-elle la réponse idéale à un meilleur épanouissement dans son travail ?

Annexe :

– (1) Pères fondateurs du bio : lire à ce sujet le passionnant et copieux livre de Yvan Besson: Les fondateurs de l’agriculture biologique, Sang de la Terre, 2011.

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