1re partie :
 longtemps resté seul dans ses combats pour la défense de l’environnement et la promotion d’une économie pourvoyeuse de sens et de produits sains, le marché bio et l’agriculture biologique se voient rejoindre aujourd’hui, et même stimulés par des entreprises et organisations de tout bord adeptes de nouveaux concepts éthiques. Citons pour les principaux le développement durable et la RSE qui visent ni plus ni moins qu’à transformer l’économie actuelle et à contenir ces excès. Ce dossier en 3 parties détaille ces nouveaux paradigmes et décrit en conclusion les apports, les initiatives et les évolutions nécessaires du secteur bio pour que celui-ci reste le premier élève de la classe. Commençons par les défis écologiques et sociaux du nouveau siècle avec la définition d’un concept phare : le développement durable.

À – Introduction : le temps d’une remise en cause profonde de l’économie dite capitaliste et libérale

Avant de critiquer et de revisiter le système économique mondial actuel, il est bon de rappeler, pour être exhaustif et ne pas jeter le bébé avec le bain usé, que ses fondamentaux de base (respect de la propriété privée, libre concurrence, valorisation de l’entrepreneuriat), ont permis, pour la première fois de l’histoire humaine l’accès pour tous au confort matériel, en contribuant à diminuer les inégalités sociales flagrantes et à favoriser l’apparition d’une nouvelle classe moyenne. Cependant, trois constats de fond sérieux obligent à revoir en profondeur le fonctionnement économique actuel et en particulier celui des entreprises.

● Plus de 50 ans de catastrophes écologiques : Printemps silencieux (Silent Spring) le livre précurseur : publié aux États-Unis en 1962, l’ouvrage, écrit par une femme biologiste, fit sensation à l’époque en dévoilant pour la première fois au grand public les effets désastreux à long terme du DDT (pesticide) sur l’environnement et la santé humaine, le DDT passant directement dans l’organisme des oiseaux et jusqu’à celui des humains en infiltrant toute la chaîne alimentaire. Ses analyses pointaient du doigt l’industrie chimique, rejoignant l’opinion des leaders bio européens de l’époque, depuis longtemps au fait des effets négatifs des intrants de synthèse. 

Bien entendu les industriels contre attaquèrent, Monsanto en tête (déjà lui !), niant l’évidence et accusant la biologiste en retour en prédisant un désastre planétaire si l’industrie du pesticide cessait toute activité…Les arguments avancés par Carson convainquirent cependant progressivement l’Occident d’intirde l’usage de ce pesticide, avec comme effet pervers d’avoir par contrecoup accru son utilisation dans les pays en voie de développement au nom de la fameuse révolution verte des années 1960…

Le fait que ce livre soit paru aux USA contribua cependant puissamment à lancer le mouvement écologiste dans le monde occidental.

La responsabilité des entreprises dans la dégradation de l’environnement s’accentua au cours des décennies suivantes avec des pollutions majeures : Seveso* (1976), Amoco Cadiz (1978), Bhopal (1984), Tchernobyl (1985), Erika (1999), Fukushima (2011), etc.

Ces accidents historiques, corrélés à des crises alimentaires sanitaires récurrentes (vache folle…), et à la dénonciation de modes de fabrication souvent très polluants (le cadmium contenu dans une batterie de téléphone portable, peut polluer le tiers d’une piscine olympique), ont fortement contribué à obliger les entreprises à réagir pour mieux protéger l’environnement.

Menaces sur le progrès social : les acquis sociaux dont bénéficie notre époque (nombres d’heures travaillées, congés payés…), sont réels, mais furent obtenus majoritairement avec des luttes longues et difficiles entre le travailleur et son entreprise tout au long des XIX° et XX° siècles. À de très rares exceptions, l’économie dite moderne ne fut jamais très proactive en ce domaine… De nos jours le phénomène se répète :

Beaucoup d’économistes reconnus s’accordent à penser que, depuis les années 1970, ces acquis sociaux durement gagnés sont, sous prétexte de compétitivité, passablement écornés par la montée lente, mais inéluctable du chômage  et la dégradation sensible des conditions de travail qui fragilisent la classe moyenne, et malmènent la société dans son ensemble en générant des peurs sourdes qui entraînent une civilisation de la méfiance, et profitent aux partis occidentaux d’extrême droite.

C’est ainsi que les protestations écologiques se doublent depuis les années 2000 d’une nouvelle montée en force de la société civile (un terme qui remplace celui de “peuple”) par le biais de mouvements altermondialistes divers, très critiques sur la mondialisation.

Vers de nouveaux paradigmes économiques : face à ces constats inquiétants de nouveaux concepts clés émergent qui fournissent aux entreprises et aux collectivités de nouvelles voies conceptuelles pour remplir leurs missions tout en évitant les dérives environnementales et sociales constatées plus haut.

B – Le développement durable, le principe fondateur

●Une vision radicalement nouvelle du développement des sociétés humaines : ce terme, désormais connu de tous, mais peu compris au fond, défend la nécessité d’une interdépendance étroite entre 3 composantes majeures (appelées aussi piliers). Citons :

1 – Économie : des activités économiques pour maintenir le bien-être matériel.

2 – Environnement  : préserver et valoriser les ressources naturelles.

3 – Social : favoriser une société heureuse avec l’entraide, le lien social, l’insertion et la santé. Contenir la violence, le chômage, l’exclusion et le fanatisme. Lutter contre la pauvreté et la faim dans le monde.

En clair, les organismes, collectivités et les entreprises doivent œuvrer pour que leurs initiatives englobent simultanément ces 3 piliers, en ne négligeant aucune d’entre elles.

Une entreprise par exemple ne peut baisser le coût de sa production au détriment de la dégradation de l’environnement (fabrication économique, mais polluante) ou du contexte social (« dégraisser » pour maintenir ses  bénéfices en créant du chômage…).

Le graphique suivant donne la définition officielle du développement durable et détaille ses 3 piliers fondateurs :

les 3 piliers du développement durable forment la matrice conceptuelle des nouveaux systèmes économiques « durables » et de la RSE. Le bio, bien avant l’heure les a intégrés dès les années 1920, comme nous le verrons plus loin !

● Une définition compréhensible par tous : le développement durable, c’est le génie conceptuel d’avoir su lier 3 domaines sociétaux à priori sans liens directs et apparents entre eux, et de les avoir rendus simples et abordables Voici la définition officielle : “Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.”

Les 5 valeurs clés qui sous-tendent le développement durable : 

  1. Le principe de limite : notre environnement ne peut satisfaire une croissance matérielle sans fin, malgré nos technologies.
  2. Le principe de responsabilité : le pollueur est le payeur.
  3. Le principe de solidarité : l’entreprise prend sous sa responsabilité les impacts environnementaux et sociaux de son activité.
  4. Le principe de gouvernance – «Tous décideurs» : l’entreprise ou l’organisation doivent prouver qu’elles sont transparentes avec la mise en place d’organes de gouvernance permettant à tout en chacun de dénoncer toute atteinte à l’éthique des affaires (En savoir plus, voir plus loin).
  5. Le principe de précaution – «Pour un progrès raisonnable» : cet axiome, délicat à mettre en oeuvre, postule que toute avancée scientifique doit être mesurée dans ses risques ou dérives potentiels à long terme (1).

Les recherches OGM (par exemple Monsanto), telles qu’elles sont pratiquées et appliquées actuellement sont un cas typique de non-respect simultané de ces 5 valeurs clés : sous prétexte de vouloir nourrir une planète en surpopulation leur objectif soutient un principe de croissance sans fin de la production agricole. Les impacts environnementaux et les pollutions actuelles sont largement sous-estimés. Les recherches scientifiques et leur effet négatif éventuel y sont très opaques rendant caduc le principe de précaution.

● Une véritable révolution conceptuelle… Très peu appliquée : le développement durable représente une véritable rupture de paradigme qui va radicalement à l’encontre des pratiques économiques actuelles vieilles de plus de 2 siècles.

La métaphore libérale de la «main invisible du marché» de l’économiste Adam Smith – soutien par exemple que les marchés conduisent automatiquement au bienfait social par le simple jeu de règles économiques (offres et demandes, etc.). Ce qui n’a nullement empêché le chômage d’augmenter lentement mas surement et l’insécurité de gagner des points.

L’économiste Milton Friedman affirmait quand à lui en 1950 que la performance sociale et la performance financière étaient antinomiques, et que la seule responsabilité sociable de l’entreprise était de dégager du profit  pour les actionnaires

Cependant, les principes du développement durable, bien que reconnus par tous sont dans les faits encore très peu appliqués par les entreprises conventionnelles.

Le bio est-il synonyme de développement durable ? Il est intéressant de constater que le développement durable est né officiellement en 1987, deux ans après le label AB de l’agriculture biologique apparu quant à lui en 1985. Cette certification officielle marquait le virage du bio vers une dimension majoritairement environnementale, notamment au travers de la protection des sols et du respect des équilibres naturels.

Le combat social fit pourtant partie de son ADN dès sa naissance dans les années 1920 et se poursuivit longtemps, faisant en quelque sorte du bio un précurseur authentique des 3 piliers du développement durable. Citons par exemple le premier congrès de l’ANDSAC pour la défense de la santé du consommateur) tenu en 1964.

La composante sociale fut cependant délaissée progressivement et prit une voie indépendante avec l’ouverture en 1969, aux Pays-Bas et en Angleterre, des premiers magasins de commerce équitable.

● Le développement durable est-il un concept parfait ? Le terme anglais étant « sustainable development », les premières traductions françaises, littérales, parlaient de «développement soutenable » suggérant avec justesse un développement économique mesuré pouvant être supporté par des ressources naturelles de facto limitées. Hors, avec le temps,  l’expression française «développement durable» prévalut dans le langage courant, suggérant une croissance économique pouvant se développer avec plus de liberté et moins de contraintes.

Ces différences de terminologies, loin d’être futiles ont encouragées plusieurs penseurs alternatifs à proposer d’autres modes de développement comme L’après-développement de Ivan Ilitch, la décroissance de Serge Latouche, la simplicité volontaire de Serge Mongeau, ou encore la sobriété heureuse de Pierre Rabhi, ce dernier étant plus connu dans les milieux bio. Ces auteurs ont tous comme point commun de reprocher au concept de développement durable de donner encore trop d’importance à la notion de croissance matérielle et donc de «bonheur par l’objet» au détriment d’une vie plus simple centrée sur des valeurs d’épanouissement telles que le mieux vivre ensemble.

Notons que ces promesses de «moins» plutôt que «plus», considérées comme radicales il y encore peu sont de plus en plus appréciées d’une frange importante des jeunes générations Y et Z, ce qui devrait fortement inspirer le milieu bio.

Beaucoup pointent aussi du doigt la pratique du Greenwashing par les entreprises (publicités écologiques non crédibles), qui est le fait de communiquer à outrance sur le développement durable au détriment d’actes concrets. En témoigne le Prix Pinochio qui épingle chaque année les entreprises les moins vertueuses.

Malgré ces critiques ou réserves, le développement durable est un concept révolutionnaire qui donne les clés fondamentales pour changer en profondeur l’économie actuelle.

● À qui se destine le développement durable ? C’est avant tout un paradigme macro-économique et macrosocial global qui inspire une nouvelle famille de concepts économiques responsables : citons l’économie positive, l’économie de communion, l’entrepreneuriat social, l’investissement socialement responsable, l’économie collaborative…

Énumérons aussi le commerce équitable, l’économie sociale et solidaire, et le capitalisme conscient (Conscious Capitalism), en vogue actuellement dans les milieux « bio ».

Cependant, les 3 piliers du développement durable peuvent aussi aider à la transformation effective de grands secteurs économiques ou collectifs grâce à ses déclinaisons opérationnelles. Citons par exemple l’Agenda 21, dédié aux collectivités territoriales et aux villes, ou encore la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), destinée aux entreprises et que nous abordons en deuxième partie.

Un rapide survol des grands événements internationaux liés au développement durable montre que, si celui-ci est à ses débuts conceptuel et implique uniquement le monde scientifique, le souci d’applications pratiques apparaît cependant rapidement pour concerner les territoires et les villes en 1992, puis les entreprises et les consommateurs au tournant des années 2000 – Crédit graphique: AFNOR

 

Suite du dossier (2e partie) : la RSE, le développement durable des entreprises qui se veulent plus responsables

Version enrichie d’un article paru initialement dans le revue professionnelle Biolinéaires n°65 Mai-juin 2016

Annexe

(1) Principe de précaution : né en Allemagne durant les années 1970 sous le vocable de Vorsorgeprinzip (« principe de prévoyance » ou « principe de souci »). Il fut popularisé par le philosophe Hans Jonas dans Le Principe de responsabilité (1979). Avec la multiplication des risques technologiques, l’homme doit veiller à prohiber toute action dont les effets nuiraient à la vie humaine sur terre aujourd’hui et dans le futur.

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