Le stress au bureau, le burnout, le manque de motivation, et, depuis peu le présentéisme (excès d’heures de travail), font depuis quelques années la une des médias. Le secteur bio et plus généralement les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui ne sont pas à l’abri de ces dérives potentielles sont séduits actuellement par deux concepts en vogue qui concilient performance et bonheur au travail. Sont-ils crédibles et tiennent-ils leurs promesses ? Le point complet sur la question.

Toute entreprise ou organisation dites éthique doivent pouvoir garantir, au-delà des obligations légales, un cadre de travail agréable qui favorise aussi l’épanouissement personnel. Cette mission ne va pas de soi car la plupart de ces secteurs, dont le bio subissent aussi les tensions d’une progression à deux chiffres et les lois implacables de l’économie : concurrence accrue, pression sur les prix, lancement accéléré de nouveaux produits, etc. 

Ces contraintes multiples peuvent écorner à la longue la motivation des salariés et ébranler les garde-fous éthiques naturels. Deux nouvelles approches promettent cependant de concilier compétition de marché, performance accrue et plaisir d’accomplir sa tâche et d’évoluer avec son entreprise. La mariée est-elle trop belle ? Regardons de plus près.

L’entreprise libérée : définition d’un modèle libre

Ce concept lancé en 2012 par Isaac Getz dans son livre « Liberté & Cie » et médiatisé avec le reportage sur France 5 de 2015 « Le bonheur au travail », comprend 3 fondamentaux clés :

1 – Valoriser ce qui motive vraiment au travail : la rémunération comme priorité principale au travail est généralement surestimée, en particulier pour les jeunes recrues. Des études récentes (1) confirment que les leviers psychologiques profonds qui stimulent la recherche du poste idéal sont, au-delà d’un salaire convenable : la confiance, la reconnaissance, l’autonomie, l’empathie et le désir de voir sa créativité reconnue et encouragée.

2 – 1 + 1 = 3 ou l’art de l’intelligence collective : le savoir ne vient plus d’en haut (patron, cadres, décideurs) mais du groupe. Chaque membre est vu comme un créatif en puissance. Les actions importantes sont décidées directement par les salariés qui bénéficient d’une large autonomie pour gagner en agilité et en réactivité. Permettre à chacun d’être force de proposition revient à décupler l’ensemble des énergies créatives de l’entreprise en donnant à chacun l’opportunité de donner un sens profond à son travail. Le tout va bien au-delà de la seule satisfaction de travailler pour une entreprise bio, solidaire ou éthique.

3 – Suppression ou forte diminution de l’effectif managérial : pour faciliter la créativité de groupe les positions hiérarchiques classiques, supposées induire frein à l’innovation, perte de temps dans les réunions, rivalités d’égos, et luttes de pouvoir, sont jugées inutiles et remplacées par des « rôles » ponctuels et transmissibles de coordinateur, de « team-leaders » de facilitateur, de stratège, de planificateur, ou d’animateur suivant les pratiques.

Notons que, dénuée de label et de règles à suivre, l’entreprise libérée est d’abord une philosophie, et non un modèle figé. Chaque entreprise est encouragée à expérimenter et à créer sa propre méthode.

L’holacratie : d’abord un outil opérationnel

Développée dès 2001 par Brian Robertson et formalisée en 2010, l’holacratie, modèle opérationnel créé par expérimentation sur le terrain, est souvent confondue avec l’entreprise libérée, avec qui elle partage les valeurs.

Mais à la différence de celle-ci l’Holacratie est une sorte de système d’exploitation qui formalise l’énergie collective de façon méthodique : il définit d’une part la façon de décrire l’organisation et sa structure, et d’autre part les règles qui vont s’appliquer pour prendre les décisions, le tout sous forme de formations, de processus définis (« constitution », processus de décision…), et de logiciels.. Concrètement, l’entreprise est structurée en « cercles » interdépendants et auto-organisés à la manière d’un organisme vivant. Cette notion de cercle remplace ou revivifie la hiérarchie pyramidale classique en rendant collectifs les processus de décision. Les postes de management sont transitoires au gré des circonstances (2).

Combien de divisions pour ces méthodes ?

Les entreprises « libérées » existantes sont très diverses de par leur taille et leur secteur (e-commercant, grande distribution, agroalimentaire, société de maintenance, ministères, entreprise de nettoyage, start-up)…), prouvant, avec l’ancienneté de certaines (3) la richesse d’application de ces nouvelles approches. On ne peut en dire autant de leur nombre qui ne dépasse pas la trentaine en France (4), ce qui quelque part est normal au vu de leur nouveauté.

Cependant, plusieurs articles critiques pointent du doigt le fait que cette faiblesse en effectif – liée à un manque d’analyses fines sur les effets réels de ces méthodes sur la performance globale de l’entreprise – rend difficile les généralisations et les recettes d’application, surtout que, dans le cas de l’entreprise libérée les sociétés sont libres d’imaginer leurs propres méthodes. (5)

Quelques exemples d’entreprises libérées ou adeptes de l’holacratie :

– Les entreprises libérées françaises conventionnelles de la première génération (FAVI, SEW Usocome, Bretagne Atelier) et celles de la deuxième génération (Chrono Flex, Poult, IMATech, SYD Conseil, Biose)

– Dans le monde : Zappos (expérience arrêtée en fin 2016) et W.L Gore & Associates (USA). En Belgique la gouvernance en autogestion est pratiquée depuis longtemps par les associations de santé intégrée (nommées « maisons médicales »).

– Les entreprises et distributeurs biologiques qui ont déjà franchi le pas : Azélan, ArcadieScarabee BiocoopBallot-Flurin, Mobil Wood 

Quelle crédibilité donner à l’entreprise libérée et à l’holacratie ?

Les idées mises en oeuvre sont-elles nouvelles, et surtout ont-elles un avenir ?

Ses 3 grands socles, décrits plus haut, proviennent en fait de principes et de savoirs sociaux élaborés de longue date, et en constante évolution. Des expériences passionnantes émergent dès le XIXe siècle, comme le Familistère de Godin au XIXe siècle, qui ont pour point commun de remettre l’homme et ses exigences au centre de l’entreprise. Mais ces tentatives, un poil trop novatrices en pleine exploitation rationaliste du monde ouvrier (relire l’Assommoir de Zola), venues trop tôt, furent qualifiées de naïves ou utopistes par leurs contemporains.

– Motivation et besoins psychologiques au travail dès 1930 : 50 ans après ces premières tentatives  » utopistes « , les sciences sociales, au travers nottament de l’ « école des relations humaines » (6) affirment, en réaction à l’organisation Taylorienne du travail qui rationalise à l’excès les méthodes de travail, qu’il faut dorénavant prendre aussi en compte l’intérêt au travail et la reconnaissance sociale des individus pour améliorer la performance collective.

Entreprise libérée : le film "Les temps modernes" de Chaplin dénonce l'organisation ultra-rationaliste taylorienne du travail
« Le film « les temps modernes » de Chariot sortit en 1936, traduit très bien la sensibilisation du public et des chercheurs en science humaine de l’époque sur les abus sur l’homme de l’organisation taylorienne du travail, considéré comme un engrenage parmi d’autre dans la grande machine « entreprise ».

Durant les années 50 les premiers fondements du concept de  » qualité de vie au travail  » (QVT), apparaissent avec Eric Trist, du Tavistock Institute de Londres. Pointant lui aussi les limites du taylorisme (monotonie, déqualification, sentiment d’aliénation, impacts négatifs sur la productivité…), ses travaux insistent sur l’importance de l’autonomie, du soutien aux individus et du collectif.

Le tout donne naissance en 1972 au terme de  » qualité de vie au travail « . La France, qui a longtemps préféré utiliser une expression plus prudente – « amélioration des conditions de travail »  – reconnaitra en 2013 seulement cette approche humaine rafraichissante dans l’Accord National Interprofessionnel (7).

– Intelligence collective, une idée pas si neuve que ça, mais en pleine mutation : cette faculté innée qu’à l’homme d’exploiter la puissance du groupe pour optimiser sa puissance de travail et accroitre ses facultés créatrices est  » née « , ou plutôt s’est développée à partir du néolithique, une époque qui à vue apparaitre l’agriculture et les premières grandes civilisations.  C’est donc en fait un concept vieux comme Babylone ! Ce qui est nouveau est que nous passons actuellement d’une intelligence collective 1.0 dite pyramidale – caractérisée par une stricte division du travail et une division verticale du commandement – à une intelligence collective 2.0 dite augmentée, agile, distribuée : celle-ci mise sur la coopération, le partage des savoirs et la créativité de chacun, plutôt que sur la compétition et l’utilisation du savoir comme source de pouvoir.

La fin programmée du Management rationnel : l’art d’organiser les hommes au sein d’une entreprise ou organisme, est une discipline jeune âgée d’à peine un siècle. Composante essentielle de l’intelligence collective pyramidale dont elle suit les grands principes (commandement vertical hiérarchique), ses évolutions successives insistent progressivement sur la prise en compte de l’humain et de ses besoins complexes (8). Citons pour ses derniers avatars : le knowledge management, le «reverse mentoring», le management 3.0, agile, coopératif, bienveillant, et, bien sûr, l’entreprise libérée et holacratie.

Alors, qu’apportent vraiment de nouveau l’entreprise libérée et l’holacratie ? Derniers avatars d’une longue histoire sociale, et nourries par une époque très particulière (nouvelles générations Y et Z, individu connecté,  big data, uberisation, économie collaborative, etc.), ces nouvelles façons de concevoir l’entreprise ne sont pas aussi révolutionnaire qu’il n’y parait, mais ont le mérite de concilier dans leur ADN plusieurs tendances phares (motivations profondes, autonomie et intelligence collective), tout en sachant les rendre claires et désirables.

Résumons : en donnant la priorité à l’humain et à ses besoins profonds, l’entreprise libérée et l’holacratie sont les derniers avatars d’une tendance de fond, qu’elles revivifient avec leur promesse de rendre les entreprises plus agiles, créatives et innovante qui s’inscrit dans l’air du temps. (9). 

Cependant tout ceci n’empêche pas, comme nous allons le voir, les erreurs de jeunesse.

Le coin des critiques constructives

De prime abord, il semble inutile de critiquer ces nouveaux principes de travail qui, dans leur essence, vont dans le bon sens. Leur mise en place plutôt radicale est cependant un art délicat, qui, introduit sans précaution ou avec des intentions cachées peut rapidement entraîner des contre-performances ou amener de nouveaux problèmes. Examinons maintenant les principaux obstacles ou constats :

1 — Entreprise libérée, un atout ou un leurre dans un monde ultra-compétitif  ?

La promesse forte de lier épanouissement au travail et performance économique est à la fois quasi trop belle… et un gros challenge. Il faut en effet rappeler que le contexte économique mondial actuel impose en permanence aux entreprises de baisser leur coût de production pour maintenir leur compétitivité.

Comment donc promouvoir l’épanouissement au travail si le salarié peut voir son poste disparaitre pour cause « d’optimisation », se faire remplacer par quelqu’un de plus efficace de lui ou se voir imposer des taches ou objectifs encore plus grands ? Ces méthodes reposant aussi sur la diminution du management, donc de postes à coût salarial élevé, la tentation peut être grande de profiter de l’occasion pour dégraisser, même si, pour l’instant, les premiers retours d’expériences démontrent que la masse salariale globale n’est pas impactée (10)

Puisque nous parlons de mondialisation, beaucoup de pays (Chine, Japon, Corée…) ont encore un management beaucoup plus directif, rigide et hiérarchique qu’en Europe. La plupart de ces pays s’imposant de plus en plus à l’international, passer à un niveau d’innovation plus sophistiqué ne peut être que profitable à nos entreprises pour le proche avenir (11)… Cet avantage est cependant à relativiser, car il laisse à penser que l’innovation est plus importante que la production de biens et services pour lutter contre le chômage. Hors, aux US, pays considéré comme le plus innovant du monde 4% de l’emploi seulement provient des entreprises innovantes (12)…

2 – Faut-il vraiment jeter aux orties le manager actuel ?

Les méthodes de management dites pyramidales sont fortement décriées par les tenants de l’entreprise libérée : il est vrai, et chacun peut le constater autour de lui, que trop de petits chefs tyranniques, égocentriques ou simplement maladroits sévissent encore, même au sein d’organisation ou d’entreprises sociales et solidaires. Or, l’inverse est tout aussi vrai : beaucoup de managers classiques sans prétention de méthode révolutionnaire savent aussi aider, conseiller et établir une véritable relation de confiance et de proximité avec leur équipe. Cette façon de procéder est d’ailleurs encouragée dans les entreprises matures depuis au moins les années 1990.

Il faut aussi rappeler que les difficultés des managers conventionnels sont dues en grande partie au contexte de pression du temps, de tâches chronophages (reporting…), et de concurrence économique. Rien ne certifie donc pour l’instant que le salarié « libéré» de sa hiérarchie » mais privé de garde fou ne subisse lui aussi à terme ces pressions…

Il est vrai, comme vu plus haut, que l’entreprise libérée n’a pas pour objectif de rendre l’encadrement inutile, mais d’en redéfinir les modalités (même si ce discours est plus ambigu qu’il ne parait). Cependant, le management, surtout agile, ça s’apprend. Les nouvelles qualités demandées (écoute, leadership, etc.), font partie de l’intelligence dite relationnelle, classée parmi les 9 formes d’intelligence communément admises. Bref n’est pas facilitateur ou animateur qui veut mais qui peut. Ce n’est pas un hasard, si, dans presque toutes les entreprises libérées, les premiers leaders sont souvent des anciens managers. Ces avertissements étant posés, l’entreprise libérée apporte un réel vent frais en offrant, beaucoup plus qu’ailleurs, la possibilité au salarié de base (caissière, ouvrier) d’évoluer vers des responsabilités dites « managériales », comme par exemple chez Favi.

La notion de « rôle » ponctuel et transmissible de facilitateur, vue plus haut, induit aussi certaines interrogations : le manager du moment saura t-il prendre ses responsabilités sur le long terme ? Son programme sera-t-il poursuivi par son successeur ?

Une frontière de bon sens doit aussi être tracée : les gestions de crise, les grandes directions stratégiques, peuvent-elles vraiment se passer de décideurs  et de managers qualifiés et pointus ? La question reste posée.

3 – Tout salarié est-il un intrapreneur dans l’âme ?

La notion de salariat est récente : elle n’est pas le fruit d’une lutte sociale durement acquise comme beaucoup le pensent, mais la généralisation d’une pratique ancienne de l’économie libérale qui avait pour but d’empêcher les ouvriers de quitter l’usine pour aller travailler aux champs, et disposer ainsi d’une main-d’œuvre encadrée et disciplinée. On peut donc dire, toute production gardée et de façon très large, qu’il était plus courant jusqu’au XIX° siècle d’être un « free lance » ou un petit patron qui loue sa force de travail qu’un salarié.

Aujourd’hui, la même entreprise qui est issue de cette relation de subordination, se « libère » et demande brusquement à son salarié de revenir à “comme avant” en étant sommé de devenir autonome et d’inventer ses propres règles, bref de se transformer en intrapreneur (agir et penser comme un entrepreneur).

Nous rentrons ici dans un sujet beaucoup plus délicat qu’il n’y parait. Le véritable entrepreneur se sait dans une situation précaire et à haut risque : son salaire ne tombe pas automatiquement à la fin du mois. Il peut tout gagner, mais aussi tout perdre. Le travail à faire ne se trouve pas tous les matins posé sur son bureau : il doit le chercher lui même en trouvant ses propres clients. Son profil psychologique particulier fait cependant qu’il est armé pour faire face à ces situations à haut stress, qui ont aussi le mérite de le forcer à donner le meilleur de lui-même. Mais est-il possible de demander brusquement à un salarié de faire de même ? Peut-il vraiment devenir un entrepreneur prêt à tout alors que son salaire (donc une certaine sécurité) est garanti à la fin du mois ? À t-il le profil psychologique pour faire face à de nouvelles responsabilités ? Aura-t-il les moyens de son ambition ? Si son projet enrichit l’entreprise, celle-ci le rémunéra-t-elle à sa juste valeur ? Si l’échec est là, son patron l’acceptera-t-il (La France n’est pas particulièrement douée en ce domaine) ?

Un cadre salarié de distributeur bio, débauché de la grande distribution et habitué à atteindre des objectifs élevés mais déterminés me confiait récemment qu’il n’était pas facile pour lui de travailler sans attente particulière de la part de son nouvel employeur, et qu’il se sentait obligé de travailler encore plus dur. Certaines personnes, même de haut niveau, sont plus à l’aise et plus productives lorsqu’elles sont encadrées.

Enfin, il est intéressant de constater que la plupart des dirigeants qui « libèrent » leur entreprise sont eux-mêmes des entrepreneurs avec un fort profil d’innovation et de prise de risque (il existe plusieurs types de dirigeants). Souvent généreux, peut-être pensent-ils un peu trop rapidement que leurs salariés sont taillés comme eux ?

4 – Un vrai choc des cultures accru par un enthousiasme qui peut en laisser certains sur le carreau

Management ouvert et intraprenariat à tous les étages : ces idées nouvelles qui annoncent l’entreprise du XXI° siècle doivent apprendre à composer avec des pratiques encore bien vivaces, mais considérées souvent, par excès d’enthousiasme comme dépassées. Pourtant, des organisations comme l’armée, l’hôpital ou la restauration considérées comme plutôt performante, prônent clairement l’obéissance comme base clé de leur fonctionnement. Sont-elles pour autant dépassées ? (13)

Les pionniers de l’entreprise libérée recommandent à raison la prudence et la mesure dans l’adoption de ces nouvelles approches, au risque de voir un turnover important (12 à 14 % en moyenne) et d’assister à un paradoxe : accepter de laisser partir des salariés qui refusent d’être « libérés » comme cela a été le cas pour les entreprises américaines Zappos ou Morning Star (14)

La prudence est aussi le maitre mot des grandes entreprises conventionnelles actuellement en phase de tests : Michelin, Leroy-Merlin, Kiabi, Orange… l’effort pour celles–ci est plus grand, car il leur faut composer avec une couche managériale conséquente. Certaines comme Castorama ont arrêté pour l’instant l’expérimentation.

5 – L’expertise du groupe n’est pas, de facto, automatiquement supérieure à celle d’un salarié. 

Les agences de communication, adeptes depuis longtemps des méthodes créatives de groupe (dont le fameux brainstorming), le savent bien : il ne suffit pas de réunir des personnes, même compétentes autour d’un table et de secouer le tout pour accoucher d’idées géniales. Un savoir faire de la part de l’animateur doit se construire et se roder avec le temps.

6 – Les rapports de force, les luttes de pouvoir, et les ententes « entre amis » peuvent aussi surgir, de manière plus subtile, dans la vie d’un collectif.

Selon Olivier Zara, expert en intelligence collective « Pour le modèle holacratique, la pyramide est la source des luttes de pouvoir et donc en supprimant la pyramide, on supprime les luttes de pouvoir. Ce postulat explique que les besoins de reconnaissance, de responsabilités et d’accomplissement ne résultent pas de la nature humaine, mais d’une structure pyramidale. Si le postulat holacratique est faux, si la pyramide est la conséquence de la nature humaine alors toute organisation va conduire à des luttes de pouvoir même avec des cercles. Ces luttes sont terriblement humaines et malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé comment changer la nature humaine » (15).

Ce constat sociologique pragmatique, ne doit pas faire oublier, répétons-le que ces nouvelles méthodes ont au moins le mérite de donner leur chance à tous les collaborateurs dans la pratique d’un management démocratisé, et ce quel que soit son niveau hiérarchique.

Conclusion : faut-il passer à l’acte ?

L’intelligence collective, qui valorise le salarié et booste intelligement l’innovation, est dans l’air du temps (co-création, cofinancement, innovation 2.0…).

Son intégration dans l’entreprise est à terme inéluctable. Ces méthodes, encore très nouvelles et provocantes, sont pour l’instant appliquées dans les PME sociales et solidaires (dont le secteur biologique) par des chefs d’entreprises audacieux qui ont l’innovation dans le sang, tandis que, nous l’avons vu, les grandes structures les testent prudemment.

Nous pensons cependant qu’elles ne remplaceront pas, en tout cas pas pour tout de suite les méthodes classiques actuelles de management, mais sauront trouver leur place, en particulier chez les jeunes sociétés et les jeunes générations par principe plus ouverts à ces process collaboratifs, en particulier pour certaines métiers ou certaines branches.

Pour réussir sa venue, l’entreprise Libérée doit venir du fondateur. Il ne doit pas simplement y adhérer. Il doit en être le moteur, jouer le jeu, veiller à ne pas garder les pleins pouvoirs, garder à l’esprit que tout salarié n’est pas un créateur de startup en puissance,  et ne pas créer de dégâts collatéraux par excès d’ardeur, en avançant prudemment. Il en va de même à tous les échelons. Les actionnaires doivent quand à eux être inclus intimement dans ce processus de transformation.

Sans tout remettre en question, les entreprises peuvent déjà chercher à acquérir un management humain de bon sens (confiance, respect. envers ses salariés). Des valeurs qui développent efficacement  la qualité de vie au travail et valorisent les collaborateurs. Beaucoup de sociétés utilisent d’ailleurs certaines techniques de l’entreprise libérée sans le savoir. L’important est de ne pas tomber dans les extrêmes et d’aller à son rythme !

Enfin, l’entreprise libérée n’est pas une fin en soi : on peut être libéré dans le noble sens du terme et produire des denrées polluantes et consommatrices d’énergie. Elle n’est en cela qu’une étape et une brique de plus vers l’entreprise durable qui se soucie, elle des valeurs de l’ESS et du bio tout en produisant sur place sans délocaliser, et en passant à l’économie circulaire (16).

Version enrichie d’un article paru initialement dans la revue professionnelle Biolinéaires n°67 Septembre – octobre 2016


Notes 

(1) Étude sur la motivation des salariés : source Le Monde 17 avril 2015 Recherche motivation des salariés

(2) Pour en savoir plus sur les différences entre entreprise libérée et holacratie, lire l’excellent article du spécialiste Jean-Michel Gode

(3) La plus ancienne entreprise fonctionnant sur ces principes depuis 1958 est W.L. Gore, fabricant de Goretex, et présent dans plus de 30 pays. En France la plus ancienne est la fonderie FAVI (1983).

(4) Cartographie Google des entreprises libérées, imcomplète, mais intéressante :

(5) Sur la faiblesse des exemples cités et le manque de critères comparatifs lire La part d’ombre de l’entreprise « libérée » et Entreprises libérées et innovation

 (6) Ecole des relations humaines : Les différents courants de pensée de la théorie des organisations p6. Pour un bref hisiorique des méthodes de management éthique, lire aussi  page 12 Entreprise Libérée la fin de l’illusion

(76) Brève histoire du concept de Qualité de Vie au Travail

(8) Pour en savoir plus : petite histoire des grandes théories du Management –  Lire aussi ce passionnant ouvrage : Le maniement des hommes

(9) Si Brian Robertson, créateur de l’holacratie explique bien la genèse de ses recherches dans son article History of Holacracy, on peut seulement regretter que Isaac Getz le fondateur de l’entreprise libérée apporte quand à lui un faible éclairage historique sur ses méthodes, donnant l’impression que l’approche est révolutionnaire, alors q’il s’agit d’abord d’appropriation intelligente de concepts existants.

(10) Que coûte et que rapporte l’entreprise libérée ?

(11) Sur l’avantage concurrentiel de l’intelligence collective agile pour l’exportation, lire de Pascal Ponty Le point sur l’entreprise libérée

(12) Innovation, panacée de la lutte contre le chômage ? Voir les commentaires L’entreprise libérée, entre communication et imposture

(13) Entreprise libérée contre valeur d’obéissance Le point sur l’entreprise libérée 

(14) A propos du turnover et des désistements : Entreprise libérée : attention au dogmatisme – Entreprise libérée : à la libération, on rase gratis 

(15) « La stratégie du Thé: Agilité, innovation et engagement dans un monde digital, incertain et complexe » de Olivier Zara  Broché – 25 octobre 2016 – Edition CreateSpace

(16) Sur les différences entre entreprise libérée et entreprise responsable :  L’entreprise libérée, entre communication et imposture  (lire les commentaires) – L’entreprise libérée est-elle socialement responsable ?

Aller plus loin sur les critiques de l’entreprise libérée : lire une synthèse très engagée, mais bien documentée Entreprise Libérée la fin de l’illusion

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