2e partie :
 créer un m
agasin alimentaire qui stimule l’imaginaire avec un aménagement physique réenchanté (voir 1e partie) est important pour une relation enrichie avec ses consom’acteurs, mais ne suffit pas. Une nouvelle quête relationnelle débute avec l’abandon de la notion de vendeur conseil pour celle d’expert en haute intensité relationnelle : voici l’ère du conseiller voisin, ambassadeur de la marque, accompagnateur, coach, facilitateur et animateur de communauté !

Mutation – du vendeur-conseil à l’expert ami, coach de vie, animateur de communauté

La création d’un lien relationnel authentique entre le client et son magasin est un des grands défis de la prochaine décennie. En voici les raisons :

● Un relationnel en magasin présent mais trop discret : les points de vente bio revendiquent souvent, à juste titre, une présence humaine qui les distingue des grandes allées vides de la grande distribution. Mais que constatons-nous dans les faits si nous poussons la porte au hasard en France de plusieurs grandes enseignes bio spécialisées  ? Des consom’acteurs silencieux y font leur course en libre service. Le personnel, discret, vaque à différentes taches : caisse, mise en rayon, démarches administratives, nettoyage, en retrouvant ponctuellement un rôle poli de conseiller « technique » si un client l’interpelle. Cette multitude des taches qui lui sont demandées, est le reflet, comme ailleurs, d’une démarche de rationalisation de la « masse salariale » qui dévalorise à terme les métiers de la vente et abaisse la capacité d’expertise.

Il est rare aussi d’y être accueilli spontanément par un bonjour chaleureux, sourire aux lèvres. Bref, malgré de bonnes intentions de départ, la bio – bien que faisant mieux dans l’ensemble que les grandes surfaces – se contente le plus souvent d’une basse intensité relationnelle largement perfectible.

La nostalgie de Bébert, amorce d’une révolution relationnelle : nous l’avons vu en première partie : sevré d’écrans et de relations virtuelles jusque dans sa poche avec les smartphones, le nouveau consom’acteur veut renouer avec Bébert, Simone,  Paulot, ces épiciers et épicières de quartier d’antan, forts en gueule et en bons mots qui connaissaient vraiment leurs clients, savaient s’intéresser à la dent dent de bébé, et offraient à l’occasion un bonbon aux enfants de ses clients, qu’ils voyaient grandir. La grande distribution, sur les traces de l’Amérique, à sacrifié dès les années 1960 ces vendeurs créateurs de lien social sur l’autel des prix bas en généralisant le concept de libre service, conçu dès l’origine pour baisser les prix en allégeant les coûts salariaux (Voir tableau).

La bio, fidèle à ses valeurs de sens, à contribué  heureusement à partir des années 1980 à injecter de la relation et de l’implication humaine en magasin, mais sans avoir su dépasser depuis le stade intermédiaire de la basse intensité relationnelle avec un vendeur-conseil présent mais souvent trop discret. Dotés  de méthodes innovantes issues des psychologies cognitives, des marques (Apple store) ou certains secteurs (prêt-à-porter, parfumerie, et pharmacie à un moindre degré) ont fait avancer les choses en formant non plus des vendeurs mais des conseillers empathiques désintéressés, formés à l’écoute et soucieux de créer une relation humaine augmentée centrée sur les besoins du client en l’aidant à choisir et en l’encourageant à tester sur place.

Infographie : Une brève histoire du rôle et de la place du vendeur
Tableau : après une longue période « d’oubli », le vendeur commence à retrouver sa mission relationnelle qu’il n’aurait jamais dû perdre – Source image : éconovateur

 

 

Nous assistons en fait à l’avènement progressif d’une nouvelle étape : retrouver l’esprit des épiciers d’antan en percevant d’abord ses clients comme des voisins, ou même une famille élargie. Cette dimension humaine et sociale est nécessaire à une époque ou le magasin bio spécialisé doit de plus en plus justifier sa présence et son rôle face à la montée de la commande alimentaire sur internet et l’ouverture de magasins bio issus de la GMS.

Le conseiller bio de demain ira cependant plus loin dans sa quête d’une haute intensité relationnelle en se transformant aussi, suivant les circonstances, en coach de vie sensible qui suit régulièrement les membres de la communauté du magasin au travers de blogs et de formations dédiés. Il devient aussi un animateur “réel” de communautés, loin du dialogue virtuel et somme toute artificiel des community-managers chargés de “converser” sur les réseaux sociaux. A ce sujet, l’entreprise s’illusionne souvent quand elle croit « faire » du relationnel et du communautaire avec un compte Facebook ou même Instagram. Cette forme de contact, qui, à sa raison d’être, introduit cependant un simulacre de relation « humaine  dont il faut se méfier : le magasin reste le lieu idéal pour retrouver un vrai contact relationnel plus durable et instruit que des « likes » d’internautes pressés et souvent infidèles ne peuvent compenser.

En créant une haute intensité relationnelle porteuse de sens avec un véritable suivi, la bio ira plus loin que les vendeurs de Apple ou du prêt à porter, qui offrent une relation sympathique mais éphémère car non suivie dans le temps, celle-ci s’achevant lors du passage en caisse..

Le début de la transformation relationnelle de la GSA : les distributeurs alimentaires qui ont fortement contribuées à éradiquer la dimension relationnelle de la vente, et qui pressentent le retour en force de ces nouvelles demandes relationnelles, et commencent à réagir depuis quelques années :

    • Personnel visible : Mercadona (Espagne) ou Colruyt (Belgique) sont reconnus pour leur personnel visible et disponible en magasin.
    • Service au client : le britannique Tesco à embauché 8.000 personnes pour renforcer ses services.
    • Relation durable : les vendeurs de l’enseigne Américaine outdoor REI  ont pour consigne de donner les forces et faiblesses de chaque produit, sans forcer la vente.
    • Réinventer l’hypermarché : grignotés depuis le tournant des années 2010 ans par le développement de l’e-commerce, la concurrence des grande surfaces spécialisées, de nouveaux sociotypes et la méfiance croissante à l’égard pour un consumérisme de masse, les hypers et supers s’essayent – parmi d’autres voies – la voie d’un relationnel plus attrayant :
      Carrefour teste en fin 2017 à Montesson un nouveau parcours de services calqué sur le modèle des grande surfaces spécialisées de type Castorama : des points-conseils se succèdent en tête de gondole, avec bouton d’appel si le conseiller est absent. Le but est de rompre avec la monotonie du parcours d’achat typique du format hyper en l’enrichissant avec du conseil, du service et du contact humain. Fait nouveau un nouveau métier émerge, le responsable  « manager expérience client » avec du personnel entrainé avec une formation spécifique).
      –  Auchan Supermarché inaugure  depuis 2017 à Villepinte sur certains rayons stratégiques (vin, beauté, vrac) la présence permanente de conseillers pour partager, selon les cas,  leurs astuces, assurer des démonstrations et organiser des dégustations. Ces initiatives bénéfiques entraînant un surcroit des ventes, et facilitées  par des ‘économies d’échelle réalisées en logistique et process divers, prouvent leur légitimité au moins pour certains Univers et certains emplacements.

Alimentation bio et circuits courts : les nouveaux apôtres d’une mise en relation poussée

Une forte relation quotidienne vendeur-client de proximité est un des arguments forts revendiqués par les nouvelles épiceries alternatives de quartier (EAP). Le ou la propriétaire du magasin met souvent un point d’honneur à établir un contact privilégié avec leur client-voisin : le petit comptoir alimentaire parisien Altervojo, qui se qualifie de magasin familial, à opté pour une vente traditionnelle au comptoir afin de privilégier les échanges avec ses clients.

Bien l’Épicerie se définit comme un espace de vie qui invite à faire ses courses de façon agréable et conviviale en insistant sur les notions de rencontre et d’échange. La relation humaine est aussi l’une des dimensions essentielles des petites épiceries ambulantes bio ou éthiques, en plein essor, misant sur la proximité et le contact personnal isé pour fidéliser leur clientèle dans des zones désertées par les commerces (le temps des cerises, L’Hirondelle, La bio-mobile, etc.).

– Les grandes chaines spécialisées bio Européennes, n’ont pas encore dans  l’ensemble au niveau de leur direction bien saisi l’importance de cette révolution relationnelle en cours. Ce sont surtout des magasins précurseurs ou des indépendants qui font la différence :

  • Le magasin La Vie Claire du centre-ville de Rennes animé par Nelly Ronceraie met un point d’honneur à un véritable historique relationnel avec ses clients.
  • Le Biocoop Welcome à Paris se présente comme une famille unie, père et fille heureux de partager leur aventure.
  • Les Biocoop Alesia et Le Retour à la Terre sont connus pour leur accueil chaleureux.
  • Bio Marché à Caiisargues (30) : le patron, engageant et proche de sa clientèle organise des sorties avec ses clients.

– Notons depuis peu des initiatives globales d’enseignes intéressantes qui vont dans le bon sens :

  • Marcel & fils : chaque point de vente bénéficie d’un, voire deux naturopathes dédiés au conseil.
  • Naturalia : son magasin de Boulogne billancourt ouvert à la rentrée 2017 dédie une partie de son espace espace de 442 mètres carrés au conseil client avec une équipe de naturopathes qui proposent aussi des recettes simples et faciles pour fabriquer soi-même ses propres produits cosmétiques. Tout ce qui est nécessaire à la fabrication des produits bio est bien sur proposé à la vente, sur le modèle pionnier de Aroma-Zone.
  • Bio c’ Bon : la carte de fidélité permet des rendez-vous gratuits et personnalisés avec des naturopathes…

Les centres de formation promoteurs de la nouvelle approche relationnelle : passer du stade de vendeur prescripteur à celui de facilitateur et de médiateur ne s’improvise pas.

Whole Foods Market, le plus grand épicier bio spécialisé de la planète, instaure pour son personnel des formations continues de haut niveau (programmes Tribal Gatherings, Vision Days) qui, au-delà des programmes classiques (connaissance des produits, de la sécurité alimentaire, et de l’agriculture bio, etc.), diffuse aussi une culture bio élargie (durabilité, nutrition, santé), et, forme à une relation humaine poussée avec le client : le vendeur prend conscience qu’il est d’abord là pour faire le bien autour de lui et qu’il est le représentant des valeurs et des engagements de l’enseigne.

Une nouvelle génération de vendeur plus empathique et relationnel doit émerger pour répondre aux nouvelles demandes de lien humain.

En France, la formation continue du Synadis (Syndicat national des distributeurs spécialisés) intègre depuis 2016 une animation et une mise en relation plus poussée des collaborateurs, qui, sans être parfaite va cependant dans le bon sens. Notons que cet organisme, et d’autres, continue malgré tout d’utiliser le terme « vendeur » alors que celui-ci devrait disparaitre.

Les grands distributeurs le remplacent en effet de plus en plus par des expressions plus évocatrices : assistants experts, facilitateur, accompagnateurs, « genius » (Apple), Community Helpers (Enseigne Lick), équipiers (Boulanger), etc.

Les 7 nouvelles familles de vendeurs

L’apparition de nouveaux outils digitaux (blogs, chats, etc;) facilitent la mise en contact et encourage à de nouveaux modes relationnels, inédits il y peu.

La classification présentée ici est uniquement à but de compréhension. L’idéal est de remplir tous ces rôles à la fois. Rappelons que la relation s’apprend aussi, en  se formant soi même ou avec des stages.

  • Les vendeurs blogueurs : les vendeurs bio de l’Eau Vive prodiguent des conseils de santé sur la toile en signant les articles de leur nom. Le pionnier en ce domaine est la FNAC qui depuis plusieurs années encourage ses vendeurs à publier des avis et coup de coeur sur un blog dédié.
  • Les vendeurs enseignants : le magasin bio américain Cambridge Naturals (Massachusetts) encourage ses employés à s’autoformer entre eux et motive ses clients à participer avec ses vendeurs à ces séances de formation d’un nouveau genre.
  • Les vendeurs « community managers » : taillés pour une relation personnalisée et suivie sur Internet avec leur client grâce aux outils Internet (e-mails, WhatsApp…). En Chine, chez Woo, une marque de luxe, les vendeurs ont leur propre compte sur WeChat pour poursuivre à la demande une discussion avec le client même après la sortie du magasin.
  • Les vendeurs épaulés par les consommateurs : les clients sont désormais mis à contribution, car qui mieux qu’eux connaît les produits au quotidien ? Cette approche, qui nécessite de nouveaux savoirs-faire, à pour double avantage de faire participer les clients et d’être un nouveau modèle économique en externalisant à coût réduit une partie de la vente-conseil (la marque procure en contrepartie à ses clients évangélistes certains petits bénéfices (mise en avant, cadeaux, échantillons, invitation, etc.).
    – Les vendeurs ambassadeurs de Greenweez : ce e-commercant à su créer depuis 2012 une communauté de clients « influenceurs » très engagés qui répondent par tchat en temps réel aux questions des internautes et donnent leur avis sur les sélections de produits.– Vous hésitez sur un canapé ? Posez une question à un acheteur de la communauté. La Camif, e-commerçant de mobilier, jardin, literie, électroménager, et décoration, positionné sur le made in France et le meuble durable, propose «La Camif près de chez vous » : ce service permet de localiser sur une carte avec son code postal les consommateurs qui ont acheté un produit identique : l’acheteur intéressé peut poser une question précise à une personne qui utilise vraiment le produit, augmentant la valeur de la recommandation.
    – Les clients testeurs : ceux-ci notent les produits vendus. Leurs avis sont visibles sur les smartphones par technologie sans contact près du produit concerné, ou via des bornes digitales. Auchan à mis en place dès 2014 pour ses vins dans son hypermarché pilote de Faches-Thumesnil un tel dispositif de notation collaboratif.
  • Les vendeurs patrons : certains commerces biologiques loueront couramment certains rayons (boucherie…), à de véritables artisans indépendants, responsables de leurs chiffres d’affaires.

En conclusion : élargir les missions de vente et de conseil à l’idée de communauté et de création de lien durable, est une étape importante qui va permettre la véritable révolution : redéfinir la mission même du magasin qui ne peut, à l’aube du XXI° siècle se contenter d’être un simple lieu transactionnel de vente de produits bio.

Suite du dossier (3/5) : la révolution du magasin lieu de vie tiers-lieu

Version enrichie et mise à jour d’un article paru initialement dans le revue professionnelle Biolinéaires n°68 novembre – décembre 2016

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