Au tournant des années 2000 une salve de livres critiques remet en question le bien-fondé du « système pub » qui débouche sur un constat majeur : les marchands de bonheur jouant de façon irresponsable avec notre âme, des garde-fous s’imposent… L’éconovateur participe au grand chantier.

Article d’archive paru initialement sur mon ancien site en août 2001 et légèrement mis à jour le 18 avril 2002. J’ai apporté 14 ans après quelques révisions et compléments d’informations pour mieux situer son intérêt de nos jours et appréhender ce tournant historique de critiques du milieu pub qui emmena la naissance de la communication responsable. Cela-dit, malgré ces progrès, ce pamphlet salvateur reste hélas toujours d’actualité en 2016 et donc aussi intéressant à lire et relire.

La publicité, une affaire sérieuse

Les livres « No Logo » de Naomi Klein, « 99 F » de Frédéric Beigbeder, « La société de consommation de soi » de Dominique Quessada, « Le livre noir de la pub » de Florence Amadou, tous parus au tournant des années 2000 consacrent un phénomène nouveau : la critique de fond de la « pub ». 

Certes, le phénomène n’est pas nouveau, les années 80 et 90 ont elles aussi subi leur lot de blâme publicitaire (tel que par exemple « Le grand bluff » sorti en 1991). Cependant le contexte de société actuel (émergence de la société civile, crises alimentaires, peur de la mondialisation économique, boycotts d’entreprises…) et la profondeur des reproches donnent une ampleur inattendue à l’événement…

Que reproche t-on exactement à la pub ?

– Une influence néfaste sur les modes de consommation : « …Il est quand même scandaleux de présenter un Kinder Surprise comme l’équivalent d’un verre de lait », s’écrie le Dr Fricker lors d’un colloque professionnel sur l’obésité. (1)

Aux États-Unis, une personne sur 3 est désormais obèse. Le snacking (grignotage) est, avec les mauvaises habitudes alimentaires un des principaux responsables de ce fléau. Hors, le grignotage pèse aujourd’hui 10 % des dépenses alimentaires (inutiles) d’un ménage français. Ce mode de consommation, qui s’adresse surtout aux familles modestes avec enfants, est considéré par les spécialistes du marketing comme « un univers très dynamique »… en progression constante (+ 5 % en valeur). (2)

– La manipulation de valeurs socioculturelles à des fins mercantiles : les publicités des multinationales du tabac ou des boissons alcoolisées ont aussi, et surtout le but d’inciter les non-fumeurs et les non-buveurs, et tout particulièrement les jeunes, à consommer leurs produits… (3). En savoir plus.

– Une perte du bon sens le plus élémentaire sur sa vraie fonction : son souci premier devrait-être d’informer clairement des qualités premières et utiles du produit. Actuellement, à travers les armes de la séduction et de la valorisation de soi, la pub veut surtout vendre à tout prix.

– « Vendre…ou mourir » David OGILVY  : en rejetant son principe premier d’information, la publicité à paradoxalement supprimé la loyauté objective que l’on pouvait avoir en elle. Comment croire un message qui cherche d’abord à nous séduire pour vendre ? « Le credo n’est plus uniquement de vendre « tout sous le même toit », mais aussi, et surtout de « s’installer sous tous les toits ». (4).

Cette obsession de la vente se traduit par des pratiques abusives (matraquage publicitaire, hors-média…) et un empiétement de l’espace mental de chacun.

– La contribution à un appauvrissement culturel global : la pub se dit créative et elle l’est. Cependant ce talent sert surtout à écouler des produits standardisés et appauvrissant d’un point de vue culturel (deux tranches de pains ronds et mous cernant un steak, cela ne vous rappelle rien ?). (5)

– Une irresponsabilité environnementale : sous prétexte d’apporter le bonheur aux pays en développement la communication publicitaire exporte à l’échelle mondiale notre propre mode de vie dangereusement consommateur de ressources et d’énergie, générant ainsi une surcharge environnementale dramatique en ces temps de réchauffement climatique. (6)

– Partenaire d’un nouveau colonialisme : l’exportation dominante des valeurs de l’Occident et la globalisation économique actuelle assujettissent les pays émergents à la poigne de fer de L’OMC et autres organismes « régulateurs »… (7)

– Contribution à la perte de la liberté d’expression des médias provoquée par le troc grand poids de l’investissement publicitaire sur leurs sources de revenus (les quotidiens américains tirent, par exemple, jusqu’à 80 % de leurs chiffre d’affaire avec la publicité)

– La hausse ininterrompue des investissements de communication freine la lutte contre les prix bas et incite à rogner sur d’autres postes (sécurité, qualité des produits…). (8)

– Politisation de la communication : enfin, et c’est sans doute la remarque la plus grave, la publicité ne nous vend plus, depuis l’ère Séguéla, une marchandise, mais prétend nous « fournir » du BONHEUR et du SENS à la vie en nous attachant au signe et non plus au produit. (9)

Un signe qui ne trompe pas : depuis 1988, en France l’Association des Agences Conseils en Publicité (AACP) s’est transformée en Association des Agences Conseils en Communication. En s’appropriant le vocable noble et non mercantile de « communication », l’industrie publicitaire démontre clairement son intention d’élargir ses techniques de ventes commerciales. (10) 

Des méthodes d’auto régulation insuffisantes

Le BVP* (Bureau de Vérification de la Publicité), un organisme indépendant basé sur le principe de l’autocensure et qui réunit majoritairement les professionnels de la publicité et des médias,  assure l’essentiel du contrôle publicitaire. Il est censé disposer d’un pouvoir suffisamment important pour éviter de tels dérapages. Nous avons vu qu’il n’en était rien…

Cette fine stratégie d’autodiscipline lui permet cependant d’éloigner l’état (et les citoyens) d’un rôle de contrôle civil, et c’est là que le bât blesse. La leçon des crises agro-alimentaires récentes et les problèmes de rejets des OGM par les consommateurs permettent de constater les effets d’une absence de réglementations officielles.

*Le BVP à pris le nom d’ARPP en juin 2008.

Peut-on changer la pub ?

Les idées « visionnaires » des grands « gourous » du marketing et de la communication français viennent en fait quasi exclusivement tout droit des… États-Unis. L’Europe est encore profondément inféodée aux grands concepts américains.

Heureusement, les choses évoluent outre-Atlantique par le biais de revendications citoyennes appuyées (11). En France, les boycotts, les chartes éthiques d’entreprises, la sensibilité des consommateurs aux pollutions d’entreprises (Affaire Erika…) font déjà parti du paysage…

Le monde publicitaire n’échappera pas à une saine remise en question de ses principes les plus excessifs.

Le point de vue de l’éconovateur

Nous sommes convaincus qu’une saine remise en questions des méthodes et buts de la communication publicitaire doit passer par 4 axes majeurs. Chaque point sera développé lors d’articles ultérieurs

  1. Sensibilisation du milieu publicitaire lui même : nous sommes bien placés pour le savoir, beaucoup d’artistes publicitaires notamment ont conscience des aspects négatifs de la pub. Mais la plupart pensent souvent, qu’hormis la pub, point de débouchés artistiques… Une prise de conscience progressive et une saine remise en question sont nécessaires au cœur même du système pour faire progresser plus vite les mentalités.
  2. Remise en cause du mode de fonctionnement du BVP basé sur l’autocensure et création d’un véritable comité d’éthique ou le consommateur-citoyen doit avoir sa part d’influence.
  3. Établissement de nouvelles normes publicitaires réglementées visant notamment à restreindre les effets pervers de certaines formes de communication, dont le hors-média.
  4. Changer la loi de 1881 sur l’affichage, désormais obsolète et autoriser les affiches d’opinions politique ou associative. 

Conclusion provisoire

L’économie de marché est devenue aujourd’hui un capitalisme de marché, générateur d’inégalités et de mal être social… La publicité comme les autres secteurs économiques y a sa part de responsabilité. À elle de comprendre intelligemment que les censures autoproclamées ne suffisent plus et de commencer à entamer une mue salutaire.

Le commerce est nécessaire à l’élaboration d’une société dynamique et équilibrée. La publicité a aussi un rôle à jouer. Autant que ce ne soit pas celui de la « voix de son maître ».


Notes 

(1) Revue « Effervesciences » n° 18 avril-mai, juin 2001 p3

(2) Revue « Marketing Magazine » n° 67, février 2002, p18

(3) Revue « Alternatives économiques » n° 200, février 2002, p65

(4) Extrait de l’édito du magazine LSA Supplément du n° 1730 – 28 juin 01 à propos des nouvelles formes de commerce électronique

(5) Voir sur le sujet de la globalisation et de la standardisation de l’offre l’excellente analyse de Dominique QUESSADA dans son livre « La société de consommation de soi » 1999 éditions Verticale p 41.

(6) « Avis de tempête sur la planète » Politis, 23 novembre 2000

(7) »Communication du globalisme », Silence n°256 juin 2000 – « La mondialisation de la pauvreté » L’écologiste n° 3 Printemps 2001

(8) « L’économie de la séduction » Alternatives économiques n°190, Mars 2001). La dépense publicitaire française à plus que doublé en une décennie, et représente désormais plus de 1500 francs par habitant

(9) Ce thème est un des axes majeurs du livre cité en (5)

(10) Extrait de yahoo France encyclopédie « Publicité et communication »

(11) « L’empire contre-attaque » Technikart n°54 juillet 2001

Aller plus loin

– Le hors-média ou l’art de la publicité invisible.

– Un article de prospective sur la journée ordinaire d’une agence de communication en 2042.

– Sur les rapports équivoques entre art et publicité, lire une interview de Stéphane Augé, artiste : « Quand un artiste nous interroge sur le vrai sens de l’art et de la publicité »

Toutes les missions de l'Éconovateur pour les entreprises et les organisations

Je découvre
Je découvre